Sandra_Laugier

Sandra Laugier est professeure à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Spécialiste de philosophie étasunienne, de Wittgenstein et de l’œuvre de Stanley Cavell, elle a développé des recherches sur la philosophie du langage ordinaire et ses versions dans le champ éthique (éthique du care, particularisme moral) politique (désobéissance et démocratie radicale) et esthétique (culture populaire). A publié récemment : Pourquoi désobéir en démocratie ? (avec A. Ogien), La Découverte, 2010,  Face aux désastres. Le care, la folie et les grandes détresses collectives (avec A. Lovell, S. Pandolfo et V. Das), Ithaque, 2013, Recommencer la philosophie. Stanley Cavell et la philosophie en Amérique, Vrin, 2014, Le Principe Démocratie (avec A. Ogien), La Découverte, 2014, Etica e politica dell’ordinario, LED, Milano, 2015. Antidémocratie (avec A. Ogien), La Découverte, 2017.


Philosophie et culture populaire : la double relève ?

Les phénomènes de démocratisation de l’art à l’heure du numérique n’ont été pas encore suffisamment observés et analysés par la philosophie faute d’enquêtes, d’attention et d’outils théoriques adéquats. Walter Benjamin avait réfléchi en 1939 sur les effets induits par l’apparition des nouvelles possibilités techniques de reproduction des œuvres musicales et plastiques. L’élargissement des publics des arts, le développement des « cultures populaires », l’installation, par le tournant numérique, de nouvelles formes, de nouveaux acteurs et de nouveaux modèles d’actions et pratiques artistiques, sont en train de transformer la définition même de l’art, contestant tout à la fois les conceptions élitistes du « grand art ». C’est une mutation profonde du champ culturel et de ses hiérarchies qui est en train de s’opérer et le changement d’atittude par rapport aux séries télévisées en est la marque, comme lieu de réappropriation de l’autorité artistique et herméneutique, de re-empowerment du spectateur par la constitution et l’éducation de son expérience singulière. C’est ce qu’entendait le critique R. Warshow dans The Immediate Experience (1962) : « Culturellement, nous sommes tous des “self-made men”, nous nous constituons dans les termes des choix particuliers que nous faisons dans la multitude étourdissante de stimuli qui s’offrent à nous. ».

La question de la démocratie est alors aussi bien celle de notre capacité d’expressivité individuelle, d’actions et de choix esthétiques singuliers. L’art, au-delà de sa  « démocratisation », est devenu, de lieu élitaire, un moteur essentiel de fabrication de la démocratie réelle si on entend par démocratie non une institution mais une exigence d’égalité et de participation à la vie collective. Le déplacement de l’intérêt sur des objets « ordinaires » comme le cinéma ou les séries TV, induit réciproquement une transformation de l’esthétique. L’enjeu théorique que constituent les références aux cultures populaires est fondamental : il ne s’agit pas de puiser dans un réservoir d’exemples mais de renverser les hiérarchies de ce qui compte.

Conférence, 20 min