Hamed Fouladvind a fait ses études universitaires à Paris (sciences économiques, sociales, histoire, philosophie), notamment à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales. Il a travaillé avec Pierre Vilar, Fernand Braudel. Denis Richet, Aly Mazahéri et Jacques Berque. Il a soutenu sur la Révolution iranienne une thèse avec Denis Richet. Il a dirigé une revue d’iranologie (1977-80). Depuis la révolution, il réside en Iran où il a enseigné (université, facultés, instituts), organisé des séminaires et débats. Passeur entre l’Iran et l’Occident, il a traduit de nombreux textes classiques et des romans français. Aujourd’hui, il poursuit ses recherches principalement sur Nietzsche, la littérature persane ainsi que les mystiques iraniens. Il est l’auteur d’une cinquantaine de publications en persan et autant en français. Pendant ces trois dernières décennies, il a centré mon attention sur Nietzsche, traduisant ses textes en iranien, dont Le Gai savoir (1998), donnant de nombreuses conférences (dernièrement à la bibliothèque Melli, à l’institut Dehkhoda). Son dernier ouvrage en français, La Perse à travers la camera obscura occidentale, est paru à l’été 2016. Il prépare un ouvrage sur le Nietzsche « oriental » qui sortira l’année prochaine.
Le Nietzsche «oriental»: iranisme et dionysophie
Dès la fin de la première guerre mondiale, la renommée de Nietzsche touche des franges de l’intelligentsia iranienne_ fière et étonnée de l’intérêt porté par le philosophe à leur prophète Zoroastre_ , mais la réception de son œuvre en Iran ne démarre qu’après la seconde guerre mondiale avec, notamment, les premières traductions de Ainsi parlait Zarathoustra (H.Nayer-Nouri) et de La volonté de puissance (M.B.Houchiar). Cette réception initiale révèle beaucoup plus une compréhension littéraire et mystique que philosophique de Nietzsche (M.B.Houchiar le rapproche de Hallâj, Mowlânâ et Hâfez). Cependant, cette « lecture »active (W.Iser–H.R.Jauss / U.Eco) et quelque peu culturaliste facilite l’intégration de cet auteur dans l’horizon d’attente des lecteurs iraniens, plus prédisposés à la poésie et à la sagesse qu’au rationalisme. Au fil du temps, les traductions, les biographies et les interprétations se sont multipliées_ surtout, depuis l’accès à l’internet et l’essor des réseaux sociaux_ et, malgré les divers obstacles imposés par la société islamique et les lacunes de la recherche en ce domaine, aujourd’hui, la nouvelle génération a une meilleure connaissance de Nietzsche et de sa philosophie. Ma communication veut présenter les grandes lignes de mon étude axée sur la face « orientale » de Nietzsche, penseur qui, dans la foulée du bon européen Goethe ou de Schopenhauer et de certains romantiques allemands, a alimenté ses méninges aux cultures non occidentales, à la fois pour sortir de la culture germanique et mieux concrétiser sa critique de fond du nihilisme européen. Cette recherche_ que j’ai poursuivie pendant plus de trois décennies, au sein d’une culture plurimillénaire tragique et d’une société postrévolutionnaire en mutation involutive_ a visé à dégager le rapport privilégié qu’a généralement entretenu Nietzsche avec le monde iranien. J’ai recouru d’une part, à la notion d’iranisme de Henry Corbin, l’éminent spécialiste de l’islam iranien, et d’autre part, j’ai qualifié de dionysophie la vision du monde de l’adepte de Dionysos _ dès La Naissance de la tragédie, Nietzsche choisit ce dieu indo-iranien hellénisé (selon F. Creuzer) _ et du Gai savoir. Hegel a raison de percevoir chez Héraclite un ton « oriental » car, si Nietzsche s’affilie à son précurseur tragique, c’est qu’il « entend » ce timbre oriental et iranien : autrefois, Héraclite aurait bel et bien enseigné la doctrine de l’éternel retour de Zarathoustra (Ecce homo).
Salle IV, 20h, 20 minutes